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Voilà maintenant que Charles Baudelaire apparaît dans «La Patrie»

quatre poemes de baudelaireQui aurait dit que des auteurs comme Friedrich Nietzsche et Charles Baudelaire «feraient» un jour le quotidien montréalais La Patrie ? Voici qu’on rend hommage à l’écrivain français dans l’édition du samedi 6 décembre 1902. Attrapons un de ces quatre poèmes en prose.

L’horloge

Le Chinois voient l’heure dans l’œil des chats.

Un jour, un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin, s’aperçut qu’il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon quelle heure il était.

Le gamin du Céleste Empire hésita d’abord; puis, se ravisant, il répondit : «Je vais vous le dire». Peu d’instant après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux, il affirma sans hésiter : «Il n’est pas encore tout à fait midi». Ce qui était vrai.

Pour moi, si je me penche vers la belle Féline, la si bien nommée, qui est à la fois l’honneur de son sexe, l’orgueil de mon cœur et le parfum de mon esprit, que ce soit la nuit, que ce soit le jour, dans la pleine lumière ou dans l’ombre opaque, au fond de ses yeux adorables, je vois toujours l’heure distinctement, toujours la même, une heure vaste, solennelle, grande comme l’espace, sans divisions de minutes ni de secondes, — une heure immobile qui n’est pas marquée sur les horloges, et cependant légère comme un soupir, rapide comme un coup d’œil.

Et si quelque importun venait me déranger pendant que mon regard repose sur ce délicieux cadran, si quelque Génie malhonnête et intolérant, quelque Démon du contretemps venait me dire : «Que regardes-tu là avec tant de soin ? Que cherches-tu dans les yeux de cet être ? Y vois-tu l’heure, mortel prodigue et fainéant ?», je répondrais sans hésiter : «Oui, je vois l’heure; il est l’éternité !»

Charles Baudelaire.

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