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Bonne Fête nationale à Vous qui habitez le Québec !

defile de la saint jean montreal la patrie 25 juin 1903Pour fêter la Saint-Jean, voici ce souvenir d’enfance du grand Alphonse Lusignan. L’événement qu’il raconte se passe le 22 novembre 1849.

Je venais d’être porté à l’ordre du jour. Le vieux maître d’école me fit signe du doigt de l’aller trouver à sa place. J’ignorais pourquoi. Je montai, grave, soucieux, les deux degrés de l’estrade où s’appuyait sa chaise empaillée et son pupitre branlant. L’émotion me suffoquait. Le craignais d’être grondé. Mais non.

Nous venions de donner notre leçon d’anglais, et il faut croire que j’avais bien prononcé dog, cat, bird, ou quelqu’autre mot aussi difficile, car le bonhomme, déposant le morceau de sucre d’érable qu’il grugeait, dit aux élèves surpris de cette cérémonie inaccoutumée :

— Voilà l’homme qui apprend bien l’anglais !

Le vieux savait l’anglais comme je sais le grec. Le plus ébahi des élèves, ce fut moi. Cependant, je ne tardai pas à reprendre mes sens, je devins radieux, et il me semble que je regagnai mon siège d’un pas insolent.

Mais l’après-midi, pendant la leçon de géographie, je me sentis malade. J’avais le regard voilé, mes tempes battaient, mes joues brûlaient, ma gorge était sèche, comme remplie de poussière. Le maître vit ma figure rouge et me fit reconduire à la maison par un grand.

J’avais sept ans.

Et pendant qu’on allait quérir le médecin, que ma mère préparait des flanelles et faisait chauffer de l’eau, mon père me berçait entre ses bras. J’étais dévoré par la fièvre, je toussais de cette toux rauque et creuse qui effraie toujours tant les parents.

— Il ne faut pas que tu sois malade, mon homme, dit mon père; il faut que tu vives pour faire un brave patriote.

— Un patriote, papa, qu’est-ce que c’est ?

— Un patriote, c’est un homme qui ne se laisse maltraiter, ni lui ni les siens, par personne, et qui garde tous ses droits et tout ce qui lui appartient, même au risque de se faire tuer, surtout quand ce sont les Anglais qui veulent les voler. Ton grand-père était un vrai patriote. À propos, ma femme, il y aura douze ans demain que mon père a été tué au feu de Saint-Denis [lors de la bataille de Saint-Denis-sur-Richelieu, le 23 novembre 1837], dans la maison de ma tante Saint-Germain.

— Par qui, papa ?

— Par une balle anglaise, par un soldat anglais.

— Pourquoi ça ? Je n’apprendrai plus l’anglais à présent.

— Au contraire, reprit mon père; tâche de l’apprendre comme il faut. Tu pourras, plus tard, te défendre contre les Anglais dans leur langue. Je te dirai, quand tu seras plus vieux, pourquoi ils ont tué ton grand-père. Mais souviens-toi toujours qu’il faut être patriote avant tout

— Étais-tu avec lui, papa, dis-je en râlant ?

— Oui; nous nous battions côte à côte, dans une fenêtre. Il y avait entr’autres un soldat qui nous visait sans cesse, mais son fusil rata longtemps. À la fin, le coup partit et mon père tomba. Je courus chercher le vicaire de la paroisse, M. Lagorce, qui lui administra les derniers sacrements, et il mourut en patriote.

Je n’en compris pas plus; le délire me prit, mais, au bout de huit jours, j’étais sauvé. J’avais eu une rougeole pourprée : c’est ainsi du moins que feu le docteur Morin nommait cela.

De cette première leçon de patriotisme, il m’est resté un souvenir ineffaçable. Patriote ! voilà un mot que j’ai bien médité. Mon père qui l’était, — et qui l’est encore, Dieu merci ! — sans savoir définir la chose, ne m’avait appris qu’une des significations du mot. J’ai su les autres depuis, et je trouve que patriotes au même degré sont ceux qui paient de leur sang la conquête des libertés publiques et ceux qui conservent le précieux dépôt.

Nous tous qui affirmons aujourd’hui notre attachement à la nationalité canadienne-française, en déployant tout ce que nous avons de pompe et de faste dans nos fêtes, nous prouvons bien que bon sang ne peut mentir : nous sommes des patriotes.

ALPHONSE LUSIGNAN

 

Le Monde illustré (Montréal), 22 juin 1889.

L’illustration est à la une de La Patrie (Montréal) du 25 juin 1903.

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