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Le français québécois, «la vieille langue»

dunn glossaire franco canadienL’histoire du français québécois est riche et captivante. Il y aurait des heures à en placoter. D’ailleurs, j’y reviens à maintes occasions sur ce site.

Voici un témoignage bien intéressant du journaliste français Francisque Sarcey (1827-1899), né dans l’Essonne, à Dourdan, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Dans La Patrie du 19 décembre 1881, sous le titre La vieille langue, il réagit à la parution du glossaire de l’amant de la langue québécoise Oscar Dunn.

Il m’arrive du Canada un petit livre imprimé à Québec, qui a pour titre : GLOSSAIRE FRANCO-CANADIEN et Vocabulaire des locutions vicieuses usitées au Canada, par Oscar Dunn.

Je l’ai lu avec un bien vif plaisir.

Au Canada, on parle encore français, et nombre de journaux se publient en notre langue. Mais ce français se distingue de celui qui est en usage aujourd’hui chez nous par deux particularités : la première, c’est qu’il s’est mâtiné de locutions anglaises; la seconde, c’est que, n’étant plus en contact avec la mère-patrie, ne subissant pas le contrecoup des transformations et des renouvellements qui se faisaient chez nous, il a gardé une foule de mots qui datent du seizième siècle, qui sont tombés dans notre milieu en désuétude, ou ne se retrouveraient que dans quelqu’un de nos patois.

L’auteur dit fort justement, dans une excellente préface :

«En France, on aimera sans doute à retrouver au sein des populations du Canada ces vieilles locutions qui datent de Montaigne et de Rabelais [des personnages du 16e siècle, du temps de François 1er, François de Roberval et Jacques Cartier], tous les mots du pays normand, picard, berrichon, qui ne sont pas sanctionnés par l’Académie [française], mais qui n’en sont pas moins de provenance française. Toutes les expressions prouvent notre origine; elles sont autant de certificats de nationalité.»

Rien n’est plus vrai. Tenez ! j’ouvre au hasard ce petit volume. Je tombe sur la lettre q.

Je trouve d’abord le mot q’ri. Il paraîtra bizarre aux Parisiens; mais moi, dans mon enfance, je l’ai souvent entendu : «Va q’ri d’iau»; cela voulait dire : «Va chercher de l’eau», — q’ri pour quérir (quœrerechercher. — C’était, il y a quarante ans, la façon de parler ordinaire en pleine Beauce [française], et peut-être subsiste-t-elle encore.

Continuons.

Quant et pour signifier avec.

Il est venu quant et moi. J’ai longtemps parlé de la sorte. C’est une vieille locution que l’on trouve à chaque pas — à tout bout de champdans Montaigne et Rabelais. Elle est encore usitée en Beauce, même parmi les gens qui ont reçu de l’éducation.

Quant et quant, pour dire en même temps, s’est conservé au Canada dans la bonne compagnie. Cette bonne compagnie parle comme écrivaient les puristes du dix-septième et même du dix-huitième siècle, car la locution quant et quant se trouve dans Marivaux.

Quasiment ne s’emploie plus guère chez nous, non plus que quasi. Mais il est ou du moins il était très fréquent dans mon pays, au temps de ma jeunesse.

Quéquefois. — C’était la prononciation de la meilleure compagnie. On disait à la cour : quéqu’un, quéquefois. On le dit encore à la campagne, comme à Québec. […]

L’auteur du glossaire se plaint dans sa préface de l’accent de ses compatriotes. Ainsi il dénonce le mot abomination que les Canadiens prononceraient abominâtion. Eh mais ! je sais beaucoup d’honnêtes gens à Paris qui prononcent de même.

Miroir se prononce là-bas mirouér. Il en est de même dans quelques provinces, ou l’e ouvert n’existe pas pour ainsi dire. […]

Ce qui est touchant dans ce livre, c’est le soin de l’auteur à préserver ses compatriotes du danger et de la manie de l’anglicisme. […]

«Il y a deux sortes d’anglicismes, soit qu’on emprunte à l’anglais des tournures de phrase ou qu’on en a adopté certains mots.

«Quant aux tournures, elles sont, ce me semble, toujours CONDAMNABLES, et ne peuvent qu’enlever à la langue une partie de sa distinction, de son originalité. C’est dans les mots seulement que nous pouvons trouver une augmentation de richesse. Le secret consiste à les bien choisir.»

Ici, M. Oscar Dunn a tout à fait raison. Les langues ne se déforment qu’en laissant périr les tours originaux nés du vieux sol et en empruntant ceux du voisin, qui gardent, bon gré mal gré, un air exotique.

Ce sont les tours et non les mots qui forment le véritable fonds d’un idiome.

Francisque Sarcey.

 

Au Québec, à travers la pratique quotidienne du français d’ici, on a su sauvegarder un bagage de mots et d’expressions qui remonte à bientôt 500 ans, au temps où cette langue naissait, véritable patrimoine, toujours vivant, pour qui voudrait faire l’histoire du français universel. Ce bagage, qui ne tient absolument pas du patois, est une richesse et doit être perçu ainsi.

P. S. Mon amie Marie LeBlanc, fille d’Acadien, m’écrit que, lors de ses études en Acadie, elle a découvert de nombreux mots et usages du vieux français «que l’on n’utilise plus ou qui sont moins courants chez-nous, du moins dans les régions du Québec que je connais». On trouvera, entre autres, sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le texte bien riche de Pascal Poirier sur le parler franco-acadien et ses origines. Hommage aux Acadiennes et aux Acadiens !

Et c’est elle, cette chère Marie, qui organisa cette rencontre du 10 mars 2015 sur ces oiseaux de France qui apportèrent sur les rives du Saint-Laurent leurs chants du 16e siècle.

Par ailleurs, célébrant le centième anniversaire de l’ouvrage de Dunn, la maison d’édition montréalaise Leméac a publié son Glossaire franco-canadien en 1980.

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