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«Un café-concert dans une brouette»

affiche cafe concertNous avons eu bien des ambulants au Québec, mais jamais de cette sorte. Je n’ai jamais trouvé d’ailleurs de cafés-concerts de ce côté-ci de l’Atlantique avant 1900. Cela dit, en voici un, très surprenant, qui se vit sur les routes de France.

L’écrivain Pierre Véron (1833-1900) est l’auteur du texte que Le Canadien de Québec reproduit le 5 décembre 1885. Comme quoi, on trouve vraiment de tout dans la presse québécoise de l’époque.

L’autre jour, pour humer un peu d’air qui n’ait pas servi, je m’en étais allé aux champs, dans un village de Seine-et-Oise très hanté par les artistes : à Cernay-la-Ville, un des coins les plus pittoresques de nos beaux, de nos incomparables environs de Paris.

C’est là que le café-concert dans une brouette m’a été révélé par un hasard propice. […] Je l’avais vu venir de loin, poussée par un inconnu habillé en monsieur et suivie d’une dame à chapeau emplumé. Le cortège m’avait, dès le premier coup d’œil, paru bizarre.

Pourquoi cet amalgame ? Pourquoi le monsieur brouettait-il ? Et que faisait derrière cette dame à plumes ?

Le défilé s’arrêta devant la principale auberge. Le monsieur demanda à parler au patron. Cinq minutes après, il collait de ses propres mains une affiche ainsi conçue :

CE SOIR À HUIT HEURES

Grand concert

Entrée libre

Puis il prit un tambour et exécuta quelques roulements qui attirèrent les paysans, auxquels il déclara qu’avec le concours gracieux de Mme Florentina, artiste des plus avantageusement connue à Paris, il donnerait une brillante représentation… Et en avant la peau d’âne !

Le soir, on s’empilait dans la salle basse de la mère Léopold. Une estrade avait été improvisée sur des étals boiteux. Florentina, la dame à plume, y trônait en corsage de velours pailleté de blanc, jupon court, maillot rose. Le monsieur à la brouette, sur laquelle il traîne de ville en ville la malle aux costumes, faisait les fonctions d’orchestre avec une guitare. Il soufflait en même temps dans une espèce d’entonnoir qui donnait des sons de mirliton grave et qui avait la forme d’un cor de chasse, mais d’un cor de chasse en carton. […]

La séance commença à huit heures. Elle durait encore à minuit et demi. La chanteuse avait dégoisé quarante-deux morceaux, romances ou chansonnettes, la malheureuse ! […]

À onze heures, une tombola fut tirée. Les billets mis aux enchères, on en poussa jusqu’à vingt sols ! vous assignaient des lots d’un aimable sans-gêne. L’un d’eux, par exemple, donnait le droit d’embrasser la diva. Un autre de payer un verre de punch à son accompagnateur. Le reste à l’avenant.

Avec tout cela, la recette des deux associés n’en atteignit pas moins trente-deux francs. Frais : zéro.

Il paraît que la moyenne de l’exploitation donne vingt-cinq francs par jour. Les appointements d’un député ! Chaque soir, on chante dans un village nouveau, hiver comme été.

Il y a comme cela une quinzaine de cafés-concerts dans une brouette qui circulent depuis un an environ à travers la France. Car notre imprésario, qui fièrement se proclame l’inventeur de la profession, a eu des imitateurs déjà nombreux.

 

L’illustration provient de la page Wikipédia consacrée au café-concert.

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