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Pour tous les chiens du monde

Le chien du vigneron

Le chien du vigneron

 

Dans le quotidien montréalais La Patrie du 30 novembre 1883, le chroniqueur qui signe simplement «Z» veut rendre hommage aux chiens sous le titre «Bravo Tom !» Le journal en fait sa une.

À Dieu ne plaise que je veuille moi aussi chanter ou même plus, modestement, célébrer le chien !

Il a eu ses poètes et ses historiens, à commencer par le divin Homère, qui a immortalisé, dans l’ Odyssée, le chien d’Ulysse, roi d’Ithaque; M. de Buffon, qui mettait ses manchettes; Casimir Delavigne et tant d’autres.

L’histoire à laquelle je veux faire allusion est d’hier; elle a la banalité d’un fait divers — c’en est un d’ailleurs; et le chien qui est le héros est un quadrupède sans poésie, un mâtin au poil sale et hérissé, de moyenne taille — rien de plus.

Deux misérables ont assassiné sa maîtresse, une vieille femme, qui vivait seule à la campagne, à l’Isle-Adam. Une pauvre bête, attachée à l’espagnolette d’une fenêtre, a vu toute la scène du drame : elle a hurlé, rongé la corde qui la retenait captive — en vain !

On s’est emparé des assassins. Ils nient avoir commis le crime dont on les accuse. On les confronte avec leur victime : ils nient, ils nient toujours, ils ne se troublent point. Personne ne les a surpris dans l’accomplissement de leur forfait. Il y a bien un poignard taché de sang qui parle — le langage des choses est-il suffisamment éloquent pour les confondre ? — ils nient.

Mais voilà que tout à coup le chien, auquel ils n’ont pas pris garde, cet humble mâtin, ce pelé, ce honteux qui tout à l’heure suivait bien paisiblement les gendarmes, voilà que ce chien se dresse devant eux, terrible, déchire l’air d’un aboiement formidable et se replie sur lui-même pour s’élancer au visage des meurtriers.

Les misérables ont pâli. Ils n’avaient point compté sur cette apparition du seul témoin de leur crime, et dont l’instinct fidèle ne peut avoir menti.

Si nous étions au temps de Charles V, et que l’île Saint-Louis s’appelât, comme alors, l’île Notre-Dame, terrain vague et inhabité, un héraut aurait proclamé au son de trompe, par les rues de la bonne ville de Paris, le combat en champ clos du chien de la vieille femme contre ces deux assassins. On aurait donné à ceux-ci des bâtons, et au brave toutou un tonneau percé pour égaliser les chances de la lutte; et, comme le chien d’Aubry de Montdisier, il aurait peut-être — qui sait ? — fait bonne et prompte justice.

Les gouvernements et les gouvernants changent; seuls, les chiens, eux, ne changent pas. C’est sans doute qu’ils ont reçu cette mission de nous consoler des hommes

Après Montaigne, qui raconte, avec la saveur de son naïf langage, l’histoire du chien de Lysimachus — il se jeta dans le bûcher où l’on faisait brûler le cadavre de son maître ; — après Lamartine, dont les vers sont présents à toutes les mémoires :

Oh ! viens, dernier ami que mon pas réjouisse,

Lèche mes yeux mouillés, mets ton cœur près du mien,

Et, seuls pour nous aimer, aimons-nous, pauvre chien !

Après Jadin, qui semble, dit quelque part Théophile Gauthier, avoir pris pour devise cette légende d’une caricature de Charlet : Ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, c’est le chien, après Jadin et Joseph Stevens, qui ont été les peintres de ces animaux, ne me sera-t-il point permis, à moi, perdu dans la foule, de crier, sans phrases, à ce mâtin montagnard, qui n’aura jamais d’historien ni de poète, et qui n’en voudra pas pour cela à cette injuste postérité : «Tom, bravo !»

Z.

 

La photographie est celle du chien du vigneron, Mark de Morey. On la retrouve sur la page suivante.

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