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Les noyades si nombreuses

Au cours de mon long périple dans les journaux d’autrefois, je découvre, à ma grande surprise, qu’il y a cent ans, on ne savait pas nager. Rares sont ceux qui tombant à l’eau peuvent s’en sortir. Je l’évoquais déjà voilà deux ans.

Voici que le chroniqueur montréalais Léon d’Ornano, d’origine corse, revient sur le sujet dans l’Album universel du 14 juillet 1906.

Chaque année, avec la belle saison, se multiplient les noyades. Généralement, ce sont des citadins des deux sexes qui payent de leur vie les imprudences qu’ils commettent sur de frêles canots qu’ils manœuvrent de façon malhabile.

Encore ces jours derniers, la macabre liste des victimes de l’onde s’est allongée et, hélas! elle s’allongera indéfiniment, les Montréalais y figurant plus que de raison. Des tristes faits divers auxquels nous faisons allusion, et que consigne la presse quotidienne, se dégagent quelques remarques que nous allons considérer, persuadé qu’une petite leçon touchant aux choses de la réflexion et du sang-froid, sera peut-être bienvenue auprès de certains de nos lecteurs trop téméraires.

Que notre population aime les plaisirs qu’offre la navigation à l’aviron, à la voile, ou en canot automobile, rien n’est plus naturel, ce pays étant unique au monde, tant par le nombre de ses cours d’eau que par l’infinité de ses lacs. Aussi, se fait-on difficilement une idée exacte des foules qui, les jours fériés, montent en toutes sortes d’esquifs pour s’en aller, au fil de l’eau, goûter la fraicheur de l’air pur que leur refusent les grandes villes. Malheureusement, s’il y a beaucoup d’amis de l’onde, peu nombreux sont ceux d’entr’eux qui en mesurent la perfidie.

À tout bout de champ, de ce temps-ci, au nord des lacs, sur les berges des rivières, on entend :

— Peux-tu ramer ? Vite embarquons… Il y a place pour tous, etc.

Et la yole trop chargée, contre toute prudence, s’éloigne de la berge, sans même que l’on se soit demandé si tous ses occupants savent nager. On désire faire une délicieuse promenade le long des rives reverdies, et, volontiers, on croit que l’atterrissage se fera aussi joyeusement que le démarrage.

Ces navigateurs d’eau douce, si enthousiastes, oublient la possibilité d’un terrible accident, qu’ils préparent aveuglément. Qu’on leur en fasse la remarque ? En chœur, ils répondent : nous sommes courageux, il n’y a rien à craindre, et ceci, et cela !… Paroles d’enfants.

«Le courage, a dit quelque part Hugues Leroux, n’est que le mépris des périls connus.»

Or, beaucoup trop de jeunes filles et de jeunes hommes qui confient leur sort à un bâtelet ignorent les dangers des remous sournois, des courants s’en allant vers d’homicides rapides. Comment les connaîtraient-ils, eux que les besoins de l’existence retiennent : dans un bureau, dans un magasin, ou dans un atelier, d’où ils n’aperçoivent seulement pas les nappes liquides où se reflète le ciel bleu, se mirent les nuages précurseurs des flots moutonneux ?

C’est autant dire que, lorsque ces gens-là se livrent à un sport plein de traîtrises, ils agissent en écervelés. Et, nous ne parlons pas des expéditions où les amateurs de chaloupes font usages de boissons alcooliques, multipliant criminellement les possibilités des redoutables chavirements.

Monter dans un bateau dans de telles conditions n’est pas faire montre de courage. Tous nous devrions y songer, au moment des pressantes invitations d’embarquer, et ne nous résoudre à ce faire que lorsque la barre du petit bateau est entre des mains habiles et expérimentées. Faisant, en tout cas, une indispensable provision de sang-froid.

 

L’illustration provient de l’Album universel du 16 mai 1903. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Canots».

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