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Tiré de l’anthologie «Du rouge aux lèvres. Haïjins japonaises»

Une librairie vient de fermer dans mon quartier — La Bouquinerie de Cartier. Tout de suite, en lieu et place, une nouvelle vient d’ouvrir — La Librairie de Quartier — grâce à de beaux jeunes qui travaillaient dans la précédente.

Histoire de les encourager, je m’arrête et demande le rayon de la poésie. «Oui, mais nous n’avons pas encore beaucoup d’ouvrages, monsieur, nous ouvrons.» Je remarque qu’ils offrent tout de même, déjà ! quatre recueils de poésie de ce cher Patrice Desbiens. Bien bon signe.

Avec plusieurs ouvrages de Patrice dans ma bibliothèque, j’attrape une anthologie de poétesses classiques et contemporaines «qui ont voué leur plume lumineuse à l’art du haïku». Du rouge aux lèvres. Haïjins japonaises, par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku, chez La Table ronde, 2008.

Allez, je Vous approche le plat de bonbons. Petits poissons à la cannelle ? Sucre d’orge plutôt ?

À toute seigneure, tout honneur d’abord, la première de ces dames annoncées : Chigetsu Kawaï, née vers 1640, l’année d’une épidémie de picote à Québec, de la mort du peintre Pierre Paul Rubens et de l’ouverture d’un premier café européen, à Venise. Kawaï décède en 1718. «Elle est devenue bonzesse après la mort de son époux. Disciple de Bashō, dit-on, elle a souvent invité le maître dans sa maison, et l’a aidé au quotidien. C’est elle également qui s’est préoccupée de préparer les funérailles du maître.»

D’elle, voici tous ses textes, succession d’instants, qu’on nous offre :

Sur la pointe des pieds,
mon fils m’invite à regarder la lune,
la montrant du doigt.

En fondant,
la neige
ravive les pousses.

Une pousse de bambou
si laide dans sa gaine :
un guerrier en armure.

Des fleurs de cerisier sauvage
tombe sur le moulin à eau
et dans le ruisseau.

Dans l’attente du printemps,
j’aperçois déjà
des détritus sur la glace.

Le rossignol chante…
J’interromps mon travail
au-dessus de l’évier.

L’eau coule dans la rue
mêlée à la poussière
du ménage de fin d’année.

Des têtards éclosent
dans le réservoir d’eau
déjà tiède.

Un vent sec et froid
sans couleurs à souffler
sans feuilles à disperser.

Fin d’année —
tirée par mes petits-enfants,
je me lève avec peine.

Deux œillets, en place.
L’un avec pétales,
l’autre sans.

Un grillon
dans la manche de l’épouvantail,
chante.

Que dire, sinon qu’il y a des trésors dans nos librairies de quartier et des enfants bien éveillés pour nous les proposer.

4 commentaires Publier un commentaire
  1. Esther #

    J’aime bien votre « toute seigneure »… Fraîcheur nouvelle…

    Même si elles ne suivent pas les règles des haïkus, ces petites « fresques du moment » m’y font penser par leur présentation… Quelle finesse !

    2 juillet 2014
  2. Jean Provencher #

    Merci, chère Esther. À consulter ce petit livre entièrement féminin, on se rend compte qu’en ce domaine (comme en tant d’autres) les femmes ne travaillent pas de la même manière que les hommes. J’ai toujours pensé, au risque de choquer, que la femme, qui vit un cycle mensuel dans son corps, est plus près de la Nature, de la Terre, que l’homme. Et que le discours sur la Nature diffère.

    2 juillet 2014
  3. Esther #

    Au risque de choquer ? Choquer les hommes, peut-être, qui se sentiraient lésés(voire jaloux) par votre vision des choses… alors que pour les femmes, j’y vois matière à compliment agréable…

    2 juillet 2014
  4. Jean Provencher #

    Il faut lire les poèmes d’Emily Dickinson, de la Nouvelle-Angleterre. C’est un discours féminin, plus près de la Nature lorsqu’elle parle de la Nature. Alors que l’homme, je dirais, a souvent de la difficulté à ne pas être cérébral, de la difficulté à «épouser» la Nature.

    2 juillet 2014

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