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La monnaie de carte

Beaucoup ignorent qu’au moment où nous étions une colonie française, il s’est posé ici un problème de liquidités. Le journal La Patrie du 5 juin 1889 en parle et voici des extraits provenant sans doute d’un journaliste français du nom de E. Zey.

Les premiers temps de la colonisation française au Canada furent très difficiles sous le rapport du numéraire. Presque toutes les lettres des intendants au ministre de la marine constatent la disette d’argent.

Si cet argent, joint à celui apporté pour leur propre usage par les trafiquants ou les immigrants fût resté dans le pays, il eût pu, soigneusement ménagé, suffire aux besoins limités de la population; mais, par suite de l’imprévoyance et de la vie aventureuse de la plupart des colons, dont un petit nombre seulement se livrait aux travaux agricoles, la balance commerciale accusait un déficit, c’est-à-dire que les importations excédaient les exportations, et la différence, qui devait être compensée en argent, avait bientôt enlevé du pays tout le surnuméraire qui s’y trouvait.

Pour retenir l’argent dans la colonie, on avait augmenté d’un quart la valeur des monnaies de France [par arrêt du Conseil d’État en 1672]. Cette mesure illusoire n’était pas de nature à arrêter la sortie du numéraire.

Un problème encore à résoudre par l’intendant était le payement des troupes. Il était d’usage de payer les soldats au premier janvier et l’argent destiné à la solde n’arrivant de France que beaucoup plus tard, c’était mettre continuellement l’intendant dans l’obligation de recourir aux expédients pour satisfaire la garnison.

C’est dans ces laborieuses conditions que Jacques de Meulles, seigneur de la Source, grand Bailly d’Orléans, intendant de la justice, police et finances en Canada, Acadie, Isle de Terre Neuve et autres pays de la France septentrionale, écrivait au comte de Toulouse, ministre secrétaire d’État au département de la marine, de Québec, le 24 septembre 1685 :

Je me suis trouvé cette année dans une très grande nécessité touchant la subsistance des soldats. Vous n’aviez ordonné de fonds, Monseigr, que jusques en janvier dernier, je n’ay pas laissé de les faire vivre jusques en septembre qui font huit mois entiers. J’ay tiré de mon coffre et de mes amis tout ce que j’ay pû. Mais enfin les voyant hors d’estat de me pouvoir rendre service d’avantage, et ne sçachant plus à quel saint me vouer, l’argent estant dans une extrême rareté, ayant distribué des sommes considérables de tous costez pour la solde des soldats, je me suis imaginé de donner cours au lieu d’argent à des billets de cartes que j’avois fait couper en quatre. […]

À cette époque, il n’y avait pas encore d’imprimerie dans la colonie, et, d’un autre côté, comme peu d’habitants savaient écrire, le papier n’était pas en abondance. Mais, pendant les longues soirées d’hiver, les jeux de cartes étaient l’amusement favori de la population et, par conséquent, il s’en trouvait un dépôt assez considérable.

C’est à cette ressource que l’intendant eut recours. Et de communes cartes à jouer, coupées en quatre avec la valeur écrite à la main, ont inauguré le premier papier-monnaie qui fut émis sur le continent, et de fait il a toujours été connu au Canada sous le nom de monnaie de carte.

Chaque carte était timbrée à la cire à cacheter d’une fleur de lis et portait les signatures de l’intendant et du secrétaire de la trésorerie de Québec. Une époque était spécifiée pour leur rentrée à la caisse. Et après que le montant eût été converti en lettres de change tirées sur le trésor royal, elles étaient brûlées.

 

La carte à jouer, ci-haut, ayant valeur de monnaie, une copie attribuée au peintre Henri Beau, provient de la page Wikipédia consacré à la monnaie de carte au Canada.

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