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Les grandes forêts d’Arthur Buies

En son temps, on a dit Buies écrivain, journaliste, littérateur, géographe, etc., mais l’homme n’aimait guère les étiquettes. Pour son gagne-pain, il écrit dans les journaux. Mais il se lance aussi à l’occasion dans des projets personnels. Ainsi publie-t-il L’Outaouais supérieur en 1889.

Et la forêt québécoise, particulièrement la nuit, immense, insondable, a toujours fasciné Buies. On dirait que se manifeste alors sa plus belle plume, des textes incroyables. À la une du quotidien montréalais La Patrie du 1er juin 1889, quelqu’un (peut-être bien le propriétaire du journal Honoré Beaugrand) y va d’un compte rendu de son ouvrage sur l’Outaouais supérieur.

Il ouvre son texte ainsi :

Ce brave Buies nous disait en partant pour sa dernière expédition au Témiscamingue : «Enfin le voilà donc le jour où je vais pouvoir écrire à mon goût, à mon idée, sans m’inquiéter de l’éditeur, du papier, de la composition, de la pitance quotidienne. J’ai des ailes, mon cher ami, tu verras ce que je vais faire.»

Et le scripteur d’ajouter :

Quoi de plus vrai, de plus senti, que cet aveu de l’écrivain, du journaliste militant, qui sentant ses forces lasses de s’être portées longtemps sur des objets divers ne peut retenir son cœur qui déborde et nous donne de la nuit sur les grands bois une aussi touchante description que celle-ci :

Quand, le soir, les grandes ombres descendant des montagnes s’avancent comme une mer de ténèbres, épaississent et mêlent les forêts, jettent sur l’abîme sans fond des lacs une moire sombre et intense qui engloutit en quelques instants les dernières et confuses images du jour, on dirait qu’une planète inconnue, et cependant sœur de la nôtre, descend doucement de hauteurs infinies pour la couvrir de son aile et protéger son repos. Immuables, muettes, coupant le ciel de leur ligne azurée, se dressant de plus en plus, et toujours reculant dans leur immobilité, à mesure que l’on croit approcher d’elles, les hautes et silencieuses montagnes, énormes et tranquilles fantômes, amoncelant la nuit autour de leurs cimes, ressemblent à des sentinelles de l’espace accomplissant sans lassitude et sans murmure une consigne éternelle.

L’auteur du compte rendu du livre de Buies y va aussi de ces quelques mots avant de redonner la parole à l’écrivain :

C’est dans les dédales de ce pays vierge qu’il nous introduit, nous guidant par la main jusqu’au Témiscamingue à la porte de la Mission où

«tout est également tranquille, profond, imperturbable, et porte au cerveau et au cœur une singulière impression de délaissement dans l’espace désert et muet. Mais où l’âme bientôt est doucement ramenée à elle. La bonne et tendre nature lui sourit. Grande, immense, elle est devant le regard, mais on plonge avec délice dans cette immensité dont rien n’altère la sereine mansuétude. L’homme, en présence de l’impénétrable nature pleine à la fois de secrets et de tendresses pour lui, qui ne l’accable pas du poids du mystère, mais semble lui ouvrir au contraire des portes innombrables vers l’infini, se sent bientôt moins pénétré de sa petitesse que de son immortelle grandeur.»

Pour d’autres textes de Buies confronté à l’immensité de la forêt québécoise, voir ces articles :

https://jeanprovencher.com/2013/01/12/la-superstition-dans-les-campagnes/

https://jeanprovencher.com/2013/02/04/arthur-buies-traverse-la-vallee-de-la-matapedia/

Sur le choc géologiques des Éboulements :

https://jeanprovencher.com/2012/07/17/arthur-buies-aux-eboulements/

 

L’illustration «La chute des feuilles» est parue dans L’Opinion publique du 9 octobre 1873. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, au descripteur «Forêts».

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